LISTEL, DENTICULES, PERLES ET FRISES
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Presque toutes les pièces de monnaie possèdent une bordure appelée « listel ». Prenons pour exemple cette pièce d’une demi roupie émise par le Bhoutan en 1950 :
0,5 rupee Bhoutan 1950
Son bord, légèrement surélevé par rapport au reste du flan permet de protéger de l’usure les reliefs qu’il comporte. C’est ce qu’on appelle le listel.
Simple bordure d’une plaque circulaire, le listel peut prendre une forme plus élaborée. C’est le cas, par exemple pour cette pièce de 10 rials émise par le Yémen en 1995 (1416 dans la calendrier musulman) :
10 rials 1995 Yemen
L’avers représente l’impressionnant pont de Shaharah, petit village du Yémen situé dans le massif d’Ar Radum. Ce pont date du XVIIème siècle. Le revers indique la valeur faciale, la date dans le calendrier grégorien et dans le calendrier musulman et l’inscription signifiant « République du Yémen ».
Bien que la pièce soit circulaire, le bord intérieur du Listel est octogonal.
Une autre forme de listel a été adoptée pour la pièce de 20 cents néo-zélandaise émise entre 2006 et aujourd’hui :
20 cents Nouvelle Zélande 2008
Sept renflements ornent le pourtour intérieur du listel de cette pièce et cela sur ses deux faces. La Queen est bien entendu à sa place monopolistique sur l’avers quand le revers accueille la représentation d’un hei-tiki. La tranche est discrètement creusée au niveau de chaque renflement.
L’intérieur du listel peut aussi être ornementé de différentes autres façons. Ainsi le listel du revers de la pièce de 5 mils chypriote datant de 1963 à 1980 (tout comme pour les valeurs 25 mils, 50 mils et 100 mils) est-il festonné :
5 Mils 1978 Chypre revers
Un antique navire de commerce, qui symbolise les relations maritimes entretenues par le peuple chypriote avec ses voisins grecs, phéniciens et égyptiens, est représenté. La valeur « 5 mils » est sobrement indiquée. La bordure du listel ressemble à certains motifs décoratifs de la Grèce antique représentant des vagues.
Presque dans le même style, mais faisant un peu moins penser aux frises peintes sur les amphores grecques, le listel peut être doté d’une bordure dentelée comme sur le revers de cette pièce de 20 cents des Îles Fiji :
20 cents Fiji 2006 revers
L’objet représenté est un « tabua ». C’est une dent de cachalot qui se porte en collier grâce à une corde tressée en « magimagi », ou fibre de coco. Le listel est, lui, bordé de dents triangulaires.
Il faut croire que c’est aux Îles Fiji que l’imagination humaine s’est employée en ce qui concerne le listel des monnaies, car c’est encore dans ce pays qu’ont été frappées des pièces où celui-ci est bordé de petits rectangles :
1 shilling Fiji 1965 revers
Le revers de cette pièce représente un camakau, voilier traditionnel fijien.
On trouve, dans la même veine de motifs « au carré », la pièce de 5 złotych émise par la Pologne entre 1975 et 1985. Le listel est cranté comme la partie interne d’un engrenage :
5 Złotych 1983
L’aigle polonais, toutes griffes et plumes écartelées, est entouré de l’inscription : « POLSKA RZECZPOSPOLITA LUDOWA » qui signifie sans surprise « République populaire de Pologne ». Le revers est sobre et n’est remarquable que par son listel cranté.
Les pièces polonaises de 1 złoty datant de la même époque (1949 à 1988) ont, elles, un listel bordé de lunules :
1 Złoty 1986
L’aigle polonais est fidèle au poste et le listel des deux faces est bordé de mignonnes lunules en relief.
À rebours, les pièces de 2 Forint hongroises datant de 1970 à 1990 présentent la particularité d’avoir un listel bordé de petites lunules qui cette fois-ci sont imprimées en creux :
2 Forint 1985
L’avers porte l’inscription « MAGYAR NÉPKÖZTÁRSASÁG » qui signifie : République populaire de Hongrie (no surprise again). Elle surmonte les armoiries hongroises dites « armoiries Kadar » qui furent celles de ce pays pendant la période allant de 1957 à 1990. Le revers est sobre.
Un autre motif bordant le listel se trouve sur certaines pièces égyptiennes des années 1970. Ainsi en est-il sur cette pièce de 10 piastres datant de 1974 :
10 Piastres 1974 Égypte
Cette pièce fut frappée juste après la guerre de Kippour (1973) qui ne fut pas précisément une victoire égyptienne. On se souvient que la Syrie de Hafez el Assad et l’Égypte de Anouar el Sadate attaquèrent conjointement Israël afin de reconquérir le Golan d’un côté et le Sinaï de l’autre (perdus lors de la guerre des 6 jours) : il en furent pour leurs frais. Cependant, les négociations qui s’ensuivirent aboutirent à la normalisation des relations entre l’Égypte et Israël.
Le listel de cette pièce est bordé d’une alternance de tirets et de denticules, dont il sera question par la suite.
L’imagination des graveurs est, semble-t-il, au pouvoir lorsqu’il s’agit d’ornementer le listel. Ainsi, le graveur anonyme qui a conçu la pièce de 5 Intis (Pérou) en 1985 a-t-il bordé son listel d’une série de dents triangulaires intercalées de petits losanges :
5 Intis 1987
Les armoiries visibles sur l’avers seront commentées sur une autre pièce péruvienne. L’inti est une monnaie créée en 1985 à cause de la forte inflation que connaissait le Pérou. 1 inti prenant alors la valeur de 1000 soles de oro qui avaient cours antérieurement. Le mot « inti » signifie en quechua la même chose que le mot « sol » en espagnol, c’est-à-dire « soleil ». Le grand amiral Miguel Grau, fier personnage, est un marin péruvien tué à la bataille navale d’Angamos opposant le Pérou au Chili (Guerre du Pacifique).
C’est encore au Pérou que l’on trouve des pièces circulaires au listel octogonal ornementé de motifs remarquables :
1 Nuevo Sol 2013
Le revers de cette pièce de 1 nuevo sol est esthétiquement réussi et son listel assez original.
La pièce indienne de 5 paise datant des années 1957 à 1984 présente également une bordure de listel discontinue :
5 Paise 1974 Bombay
Cette pièce étant carrée, ou en forme de losange si l’on veut, voit ses coins arrondis ornementés de denticules de taille variant de petite à grande en allant vers les angles.
Cependant, deux principaux motifs ornent généralement la bordure du listel : les denticules et les perles.
Les denticules sont des sortes de petites excroissances de forme allongée et terminées par un bout arrondi. De tels motifs sont très fréquents. Observons-les sur l’exemple d’une pièce de 50 leva bulgare datant de 1930 :
50 Leva 1930
L’avers nous montre le profil de Boris III (en réalité, il s’agit de Борис Клемент Роберт Мария Пий Луи Станислав Ксавие Сакскобургготски, c’est-à-dire de Boris Klement Robert Maria Pie Louis Stanislav Ksavie Sakskoburggotski lui-même) qui régna sur la Bulgarie de 1918 à 1943. On voit bien sur le pourtour du listel ces denticules qui, dans les variantes de certaines pièces ne sont pas toujours en nombre constant, comme nous allons le voir.
Prenons l’exemple de la pièce de 50 sucres émise par l’Équateur en 1991 :
50 Sucres 1991
L’avers montre les armoiries de ce pays, qui sont détaillées ci-dessous :
50 Sucres 1988 armoiries
On distingue dans le médaillon ovale une montagne d’où coule un fleuve se jetant dans l’océan. Un navire y flotte gaillardement. Au dessus brille un soleil qui parcourt le zodiaque. Quatre signes y figurent : bélier, taureau, gémeaux et cancer. Ils correspondent aux mois de l’année 1830 amenant le général Florès au pouvoir par la force. On voit, sous ce médaillon un faisceau de licteurs de la république romaine et le tout est dominé par un condor prêt à l’envol.
Le listel est entouré de denticules que nous allons compter :
50 Sucres 1991
Il y a donc 161 denticules.
Voyons maintenant l’autre version de cette même pièce de 50 sucres de 1991 :
50 Sucres 1991
C’est la même que précédemment, sauf que les chiffres de la date sont plus écartés que dans la version précédente et qu’il n’y a pas le même nombre de denticules sur l’avers.
Nous allons donc compter ces denticules :
50 Sucres 1991
Cette fois-ci il y a 141 denticules et non 161 comme sur la précédente version. Ce type de différence est le régal des collectionneurs un peu pointilleux, ceux qui souhaitent posséder toutes les variantes existantes d’une même pièce.
Le listel du revers de ce spécimen n’est pas bordé de denticules mais de perles. Cet autre motif se retrouve sur de très nombreuses pièces.
Il se peut en outre que quelques variations soient apportées sur le motif très courant des denticules. Par exemple ils peuvent se trouver intercalés de tirets comme c’est le cas sur les pièces de 1 sol émises par le Pérou entre 1943 et 1965 :
1 Sol de oro 1957
L’avers représente les armoiries du Pérou dont les ingrédients sont une couronne tressée à partir d’une branche de chêne, une branche de palmier liée à une branche de laurier entourant un blason orné d’une vigogne, d’un quinquina et d’une corne d’abondance. Le revers porte l’inscription « EL BANCO CENTRAL DE RESERVA DEL PERU PAGARA AL PORTADOR UN SOL DE ORO », ce qui signifie : « La banque centrale de réserve du Pérou payera au porteur un sol d’or » et cela réchauffe le cœur.
La frise du listel est constituée d’une alternance de denticules et de tirets plus fins.
Ce raffinement décoratif peut encore augmenter comme c’est le cas avec les pièces de 25 paise indiennes des années 1957 à 1990 :
25 Paise 1976 Bombay
Le listel est bordé d’une série de motifs constitués d’un denticule entouré d’un arceau et séparés les uns des autres par un tiret fin.
L’autre motif bordant le listel et très fréquent est constitué, comme il a déjà été dit, de perles alignées. On peut en voir un exemple sur cette pièce de 50 centavos argentine :
50 Centavos 1994 Argentine
Peu de commentaires à faire sur cette monnaie datant de 1994 qui nous montre, sur son avers, la « Casa de Tucuman » où fut déclarée l’indépendance de l’Argentine le 9 juillet 1816. Deux rangées de perles ornent les faces de cette pièce.
Cependant, on remarque que les perles du revers semblent moins serrées que celles de l’avers. Et, si l’on observe les pièces émises d’autres années, il n’en est pas de même. Voyons celle qui a été émise sur le même modèle en 2009 :
50 Centavos 2009 Argentine
Le revers est nettement différent. Il comporte en effet 96 perles tandis qu’il n’y en a que 72 pour la pièce émise en 1994.
Ces petites différences n’ont guère d’importance lorsqu’on souhaite acquérir un peu de polenta sur un marché de Buenos Aires, mais elles intéressent furieusement les numismates avérés.
On peut encore signaler l’existence de véritables frises bordant le listel de certaines monnaies en lieu et place de ces bordures relativement fines qui viennent d’être énumérées. Le premier exemple nous est donné par les pièces de 10 Chon émises par la Corée du Nord en 1959 :
10 Chon 1959
L’avers représente les armoiries nord-coréennes qui montrent une usine hydroélectrique située près du Mont Paektu, encadrée par de symboliques gerbes de riz, le tout étant surmonté par la lumineuse étoile rouge. Le revers indique la valeur faciale marquée à gauche par une étoile à cinq branches.
Le listel est bordé par une frise d’allure grecque.
Des motifs semblables se retrouvent sur certaines pièces émises par la République de Chine vers 1940. Voyons, par exemple cette pièce de 2 fen :
2 Fen 1940 République de Chine
On peut lire sur l’avers la date d’émission de cette pièce : 29 (cela sera expliqué dans le chapitre intitulé « Chiffres et nombres »). Il s’agit de la 29ème année de la République de Chine fondée en 1912 par Sun Yat-Sen à la suite de la révolution de 1911. L’année correspondante est 1940. Le revers porte l’indication « 2 fen », c’est-à-dire 2 centièmes de Yuan ainsi que la reproduction d’une ancienne pièce chinoise en forme de « bêche ».
Le listel est bordé d’une frise qui, elle aussi, a une allure grecque.
En 1949, le gouvernement de la République de Chine, dirigé par Tchang Kaï-Chek, a dû se réfugier sur l’Île de Taïwan. C’est aujourd’hui un État non reconnu par l’ONU. Seuls 17 pays d’importance mineure entretiennent encore, à ce jour, des relations diplomatiques avec cet État. Il émet une monnaie qui s’appelle le yuan (comme le fait aussi le République Populaire de Chine) et ses pièces de 1 yuan sont toujours ornées d’une jolie frise :
1 Yuan 2015 Taïwan
La date indiquée sur l’avers (104) correspond à l’année 2015. Tchang Kaï-Chek y est également représenté. Le revers porte l’indication « 1 yuan », à lire de droite à gauche, le chiffre « 1 » étant écrit avec l’idéogramme du chinois « financier ». La valeur « 1 » est également indiquée en écriture occidentale.
La frise est, cette fois-ci, d’un motif assez original.
L’art de la frise semble appartenir aux graveurs taïwanais ! Observons, pour le fun, la pièce de 5 yuans frappée en 1972 par ce pays :
5 Yuan 1972 Taïwan
La frise du revers est bien dans un style oriental. Elle entoure la mention « 5 yuans » à lire de droite à gauche. Tchang Kaï-Chek est encore la glorieuse figure que l’on peut voir sur l’avers.
Sans parler des nombreuses situations où une inscription sert de frise près du listel d’une pièce, citons le cas très particulier des pièces suédoises de la période allant de 1976 à 2000. Dans leur cas, l’inscription est carrément collée au listel. Nous allons le voir sur l’exemple d’une pièce de 25 öre et d’une pièce de 1 krona :
25 Öre Suède 1982
Les deux pièces n’ont en réalité pas le même diamètre : 17 mm pour la première et 25 mm pour la seconde. Le monogramme de Carl XVI Gustaf, roi de Suède de 1973 à nos jours, est visible sur l’avers de la pièce de 25 öre et c’est son profil stylisé que l’on voit sur l’avers de la pièce de 1 krona. Le revers de cette dernière arbore un blason comportant trois couronnes qui représentent soit les rois mages, soit les trois royaumes de la Suède, du Danemark et de la Norvège sur lesquels régnaient simultanément les monarques suédois à certaines époques. Parmi les inscriptions collées de façon un peu inesthétique au listel de ces pièces figure la devise du roi Carl : « För Sverige i tiden », c’est-à-dire : « Pour la Suède en notre temps ».
1 Krona 1997 Suède
Enfin, il fallait bien que des inscriptions soient un jour portées directement sur ce listel. C’est rare mais cela se trouve. Voyons cette curiosité :
5 Francs Katanga 1961
Cette pièce a été frappée par le Katanga pendant sa brève sécession d’avec le reste du Congo Léopoldville pour des raisons liées à la présence d’importants gisements miniers dans cette région. Le revers représente ce qu’on appelle une « croisette », monnaie katangaise constituée d’une croix de cuivre d’environ 20 centimètres d’envergure pour les plus grands modèles. Le listel de l’avers est élargi et porte l’inscription « Katanga » ainsi que la représentation de deux croisettes. Un régime de bananes stylisé constitue le motif principal de cette face.
François Saint-Jalm
