Les héritiers Merson contre la Banque de France
Une série de procédures judiciaires ont été engagées par les héritiers Merson contre la Banque de France dès la mise en circulation du billet de banque de 50 Francs Luc-Olivier Merson. Mais au préalable, avant d’aborder cet abondant contentieux judiciaire, voici un exemple de ce que l’on pouvait dire sur ce billet français qui, dès les premiers échanges entre citoyens, créait déjà la polémique.
LES BILLETS DE LA BANQUE DE FRANCE AU TYPE MERSON
En 1906, la Banque de France décide de commander au peintre Luc-Olivier MERSON trois maquettes pour les prochaines coupures de 50 Francs, 100 Francs et 500 Francs contre le paiement de 90000 francs soit 360000 euros.
Quelques mois plus tard, alors que l’illustrateur vient de fêter sa soixantième année, il délivre les maquettes des billets de 50 Francs Luc-Olivier MERSON et de 100 Francs Luc-Olivier MERSON à l’institution. Alors qu’il faut rapidement changer le billet de banque de 100 Francs Bleu et Rose qui fait l’objet de nombreuses contrefaçons, la Banque de France met immédiatement en fabrication le billet de 100 Francs Luc-Olivier MERSON Type 1906 qui est mis en circulation le 2 janvier 1908.
Cependant, Luc-Olivier MERSON n’est pas satisfait du billet de banque réalisé et le 14 février 1910, il s’en plaint auprès du Gouverneur en ces termes :
« Lorsqu’à la fin de décembre 1909, j’avais accepté d’exécuter pour la B.d.F, le modèle de billet de cinq cents francs, le nouveau billet de cent francs n’était pas encore paru et je ne le connaissais que par des épreuves de choix, relativement satisfaisantes, bien qu’elles ne fussent pas des reproductions parfaites de mon dessin, aucune épreuve ne m’ayant été soumise durant le cours de l’exécution.
Depuis, il m’a été donné de juger d’une façon complète de l’interprétation de mon modèle mise en circulation.
A mon grand regret, j’ai dû constater que le résultat ne répond en rien à la somme d’efforts déployés par tous. Malgré le talent reconnu de Monsieur Romagnol, malgré la perfection réputée des presses de la B.d.F. et les soins apportés, j’imagine, au tirage, je dois avouer que l’apparition du billet de cent francs a été pour moi une grosse et pénible déception.
Il ne m’appartient pas de rechercher à qui ou à quoi attribuer les causes de cette déconvenue. Je constate simplement que je n’ai retrouvé en rien dans cette pâle reproduction, les qualités qui vous avaient fait accepter mon dessin. Au point de vue de l’effet, de la forme et des valeurs et du caractère, particulièrement des têtes, nous voguons en pleine fantaisie ; de telle sorte que mon étonnement est grand de voir mon nom au bas d’une vignette qui ne ressemble que de très loin à celle dont j’ai signé le modèle.
Sans rien préjuger du billet de cinquante francs dont aucune épreuve ne m’a été soumise, j’ai lieu d’avoir des craintes sur le résultat final. Et comme je me sens absolument incapable d’affronter une troisième épreuve de ce genre, j’ai le regret, Monsieur le Gouverneur, de renoncer à l’exécution du modèle du nouveau billet de cinq cents francs. Je prends la liberté d’ajouter que cette détermination est définitive et que rien ne saurait me faire revenir sur cette décision ».
Le litige se suspend jusqu’au mois de février 1914, jusqu’au moment où le journal du matin Le Gaulois présente à ses lecteurs une étude sur l’impression des billets de banque. Luc-Olivier Merson en profite pour chercher à emporter l’adhésion du public français sur sa situation pour faire pression sur la Banque de France et s’empresse de rédiger une lettre à Monsieur Arthur Meyer, directeur de la rédaction, qui se fera un plaisir de les publier dans son journal, le 18 février 1914 :
« Cher monsieur Meyer,
Dans son dernier numéro, Le Gaulois donne à ses lecteurs d’intéressants renseignements sur l’impression des billets de banque. Voulez-vous me permettre d’ajouter, à ce propos, un petit détail qui n’est pas très connu et qui tient de près à la fabrication du papier-monnaie.
Lorsque le dessin commandé à l’artiste chargé d’exécuter la vignette a été accepté par la Banque, il est photographié sur bois et livré au graveur. Celui-ci taille, coupe et rogne sans jamais consulter l’auteur de la composition, qui généralement n’est pas un débutant et serait souvent en mesure de fournir au graveur de précieuses indications sur le sens des tailles, sur le mode d’interprétation des nus, des draperies et des accessoires. Mais il est jugé, sans doute, comme incapable du moindre conseil puisque jamais, absolument jamais, dans le cours du travail, il n’est consulté. La gravure terminée, aucune épreuve ne lui est soumise, et quand viennent les essais du tirage, la Banque se garde bien de convoquer l’artiste et de lui demander son avis.
A l’apparition du billet, les critiques pleuvent et c’est justice. Mais qu’il me soit permis de dire le peu de cas qui doit être fait de ces critiques : elles s’adressent non à l’œuvre transformée, mais à l’interprétation souvent fâcheuse qu’en donnent au public le graveur uni à l’imprimeur
Croyez, cher monsieur Meyer, à mes sentiments les meilleurs.
LUC-OLIVIER MERSON ».
Luc-Olivier MERSON meurt le 13 novembre 1920 dans le 5ème arrondissement de Paris.
Quelques années après sa mort, le 3 janvier 1928, la Banque de France décide de mettre le billet contesté de 50 francs en circulation pour remplacer la coupure de 50 Francs Bleu et Rose Type 1889.
LE NOUVEAU BILLET DE 50 FRANCS EST EN CIRCULATION
Le 4 janvier 1928, a été commencée par la Banque de France l’émission du nouveau billet de 50 francs, tiré en quatre couleurs et destiné à remplacer l’ancienne coupure, type 1889, à deux couleurs, qui va être retirée de la circulation.
Il est du même format que son prédécesseur, mais, dans l’ensemble, son aspect est complètement différent. Les figurines et les attributs qui les accompagnent sont gravées avec une extrême finesse sur un fond bleu pâle aux lignes excessivement ténues qui rendent l’imitation à peu près impossible. La distribution des tonts est agréable à l’œil et déjà la nouvelle vignette est très recherchée des collectionneurs.
On croit généralement que les billets de banque sont fabriqués à Paris, dans quelque local mystérieux de la galerie érigée par Mansart. Il n’en est rien. La « planche à billets », comme on dit communément, n’est pas à la Banque de France. Elle donne, ses empreintes dans un grand immeuble blanc qui s’élève au pied de la chaîne des Puys, près de la route de Clermont-Ferrand à Royat. Les feuilles filigranées y arrivent directement de la papeterie spéciale de Vic-le-Comte, située à une trentaine de kilomètre de là. La fabrication des billets constitue un travail de précision capable de susciter l’admiration des spécialistes de l’impression en couleurs et de décourager littéralement ceux qui auraient l’idée de se livrer à la contrefaçon. Nous souhaitons à nos lecteurs de faire une ample collection des jolies images dessinées pour le billet de 50 francs par Luc-Olivier Merson.
LE GOUT MODERNE ET SES APPLICATIONS OFFICIELLES
On a lu cette nouvelle : la Banque de France émet un nouveau billet de cinquante francs. Je ne sais si le besoin en est fait sentir. On a bien voulu nous prévenir que ce billet serait fort beau : Les peintures des motifs sont dues à Luc Olivier Merson et la gravure à MM. Romagnol et Deloche. La vignette du recto représente une guirlande ovale de feuilles et de fruits supportant, à droite et à gauche, les deux cadres des filigranes, qui font apparaître, par transparence, une tête de Flore et une tête de Pomone. Dans le haut du billet, deux chérubins sont figurés près d’un médaillon sur lequel sont inscrits les mots « Banque de France » et la date de création du billet.
Dans la partie inférieure, un Mercure assis maintient un cartouche portant le texte des articles du code pénal réprimant les contrefaçons. A gauche et à droite de ce motif sont apposées les signatures du Caissier Principal et du Secrétaire Général.
Dans le centre du billet figure l’inscription « Cinquante francs » en toutes lettres.
La vignette du verso représente une guirlande ovale formée de feuilles de chêne et de feuilles d’olivier qui porte, à droite et à gauche, les encadrements des deux filigranes.
Au centre du billet, un groupe composé d’un forgeron assis sur un banc de marbre à côté d’une Minerve enveloppée dans un manteau bleu, se détache en avant d’une couronne circulaire formée de pommes et de feuilles de pommier.
Cette description réjouira tous les amateurs de belles choses. Mais les esprits chagrins comme moi estimeront que par ses billets la France devrait servir à la fois sa propagande et ses habitants. Sa propagande, en donnant aux étrangers qui usent de nos monnaies la curiosité qu’on accorde à ce qu’on connaît peu. Ses habitants, en les initiant au bon goût, au sens de l’Art.
Luc Olivier Merson et le graveur Romagnol sont de grands hommes.
C’est entendu. On leur doit déjà un billet de cent francs conçu exactement dans le même esprit, sur lequel on trouve déjà le même forgeron symbolique cher à leurs cœurs. Mais ce sont de vieux artistes. Une maison de couture, une administration commerciale, un grand industriel savent qu’il faut vivre avec son temps. Il n’y a guère que dans la soierie lyonnaise et la parfumerie grassoise que cette vérité soit méconnue. Le couturier, le directeur du grand magasin, l’industriel averti savent qu’il y a eu quelque part, vers 1925, une exposition des Arts décoratifs, fertile en révélations, en enseignements. Depuis cette exposition, ils ont confié à de jeunes artistes, a des artistes modernes, le soin de dessiner leurs nouveaux modèles, leurs affiches, leurs catalogues. Peu à peu, on assiste à une révolution complète de l’art de l’affiche. Regardez les murs.
L’architecture des boutiques se transforme sous nos yeux, dans un sens des plus heureux. L’art de l’étalage est devenu en quelque sorte féérique. Le goût des imprimeurs s’est heureusement formé à la réalité d’un goût nouveau. Les femmes s’habillent avec une élégance entièrement empruntée aux leçons des décorateurs modernes.
Mais l’Etat ignore cela. L’exposition des Arts décoratifs ? — Ce fut le prétexte d’une splendide foire aux décorations ; voilà tout. Et quand l’Etat a besoin d’un dessinateur, d’un décorateur, d’un architecte ou d’un graveur capable de servir son prestige, à qui s’adresse-t-il ? A des pompiers, comme Monsieur Luc Olivier Merson.
Et Monsieur Luc Olivier Merson lui en fiche pour son argent. En voulez-vous des symboles ? En voici des paniers : on fait donner toute la vieille gardé olympienne, avec Flore et Pomone, un cortège d’amours évidemment destiné à nous rappeler que l’argent est fait pour être dilapidé par les femmes, et Mercure, toujours prêt à emporter au loin les fruits du travail, et le forgeron, petit-fils de Vulcain, symbole de la force brutale, si digne d’être honorée au-dessus de toutes les autres vertus propres aux Français, sans oublier cette vieille guenon de Minerve, toujours sur la brèche, malgré l’évidence de ses droits à la retraite…
On est muet d’admiration devant l’immense effort d’imagination que représentent de si nouveaux symboles d’autant plus suggestifs, n’est-ce pas, que chacun les comprend avec aisance et que le culte des divinités olympiennes est pratiqué avec ferveur par l’immense majorité des Français du XXème siècle.
N’est-il pas navrant de constater cette carence des administrations françaises ? Ce mauvais goût soigneusement entretenu par elle dans les plèbes et les élites ? Cette obstruction voulue de l’esprit des dirigeants en face des contingences modernes ? Et ce goût du suicide si aimablement avoué par les artistes chéris des pontifes officiels ?
Voyez nos timbres-poste : quelle pauvreté, en présence de certains timbres étrangers ! Et nos pièces de monnaie ! Qui nous délivrera de la dictature des Béotiens ? A quoi servent les directeurs et fonctionnaires des Beaux-Arts s’ils ne peuvent pas intervenir dans le choix des œuvres d’art destinées à symboliser la République ?
Pour un Jean Ajalbert ouvrant les Manufactures de Beauvais aux artistes modernes, combien de fonctionnaires bornés incapables de faire une différence entre l’époque de David et la nôtre ? Un forgeron, c’est tout ce qu’on trouve et retrouve pour symboliser le travail à notre siècle ?
Vous pensez que ces choses sont sans importance ? C’est possible.
Mais alors fermez les musées, fermez la direction des Beaux-Arts, habillons-nous de peaux de bêtes, mangeons la cervelle de nos pères et dansons la danse du ventre autour du foyer qu’alimenteront nos bibliothèques. Alors, nous serons logiques avec M. Luc Olivier Merson et les administrations d’Etat. Alors, les gens de goût ne souffriront plus d’avoir à subir celui des imbéciles, puisqu’il n’y aura plus de gens de goût et que l’âge d’or sera revenu.
LA PHASE AMIABLE ENTRE LES MERSON ET LA BANQUE DE FRANCE
Le 17 janvier 1928, la fille de l’artiste, Madeleine Olivier-Merson, demande, avec le consentement de son frère François Olivier-Merson (Docteur en médecine à Pornic), au Gouverneur de suspendre immédiatement l’émission du billet de banque de 50 francs LOM :
« Le nouveau billet de 50 francs exécuté d’après les compositions du peintre L.O.Merson n’est qu’une reproduction inacceptable de son œuvre, malgré les retouches apportées à la gravure initiale jugée défectueuse par la B.d.F. elle-même.
Aucune épreuve définitive n’a été approuvée ni par notre Père, l’auteur du modèle, décédé en 1920, ni par nous-mêmes, qui faute d’avoir été avertis, n’avons pu nous opposer à la publication d’une reproduction manifestement injurieuse pour la réputation d’un grand artiste.
Nous protestons énergiquement contre la mise en circulation de ce billet effectuée en dépit des droits imprescriptibles que conserve toujours l’artiste sur son œuvre et sa pensée.
Forts de la justice de notre cause, nous venons vous demander, monsieur le Gouverneur, et sous réserve d’autres réparations, de vouloir bien donner l’ordre d’arrêter l’émission du billet de 50 francs ».
Émile Moreau, gouverneur de la Banque de France depuis 1926, agacé par ce litige repris par les héritiers, invite les Merson à rencontrer monsieur Pierre Strohl, le Secrétaire Général, « pour quelques éclaircissements ». Au même moment, la Commission de la Propriété Artistique de la Société des Artistes Français est saisie « des justes réclamations au sujet de l’œuvre de votre illustre père » car dans une lettre du 22 janvier, l’héritière Merson demandait :
« La B.d.F. vient d’émettre un nouveau billet de 50 francs gravé d’après les compositions de mon père.
Si vous avez eu l’occasion d’en voir un exemplaire, vous vous serez aisément rendu compte que l’œuvre de mon père a été odieusement massacrée par la gravure et l’impression et que nous ne pouvons, mon frère et moi, laisser diffamer ainsi, en quelque sorte, la mémoire de notre père.
Il y a là une cause qui dépasse même, il me semble, notre intérêt particulier et qui touche d’une façon générale les droits de tous les artistes envers les éditeurs de leurs œuvres.
Du reste, monsieur Gabriel Pierné, en ayant entretenu ses collègues de l’Institut, notamment messieurs Chabas, Lalou, Ernest Laurent, Marcel et Paul Léon, a reçu d’eux l’assurance spontanée et tout à fait formelle qu’ils appuieraient notre protestation jusqu’à pleine satisfaction ».
Le conflit s’emballe et le Gouverneur Moreau répond aux héritiers Merson : « C’est à vous qu’il appartient de préciser très exactement les faits sur lesquels vous vous appuyez pour fonder votre réclamation qui, après examen d’après les données que nous possédons, ne nous paraît pas justifiée ».
Madeleine Olivier-Merson ne l’entend pas de cette oreille et le ton monte encore d’un cran ; le 30 janvier elle s’adresse au Gouverneur en ces termes :
« (…) Je croyais que les faits relatifs à notre réclamation avaient été clairement énoncés.
Pour plus de netteté, je prends la liberté de vous prier de me dire si nous sommes ou non d’accord sur les points suivants :
L’image offerte au public par vos services de gravure et d’impression, peut-elle être considérée comme une reproduction fidèle ? Nous sommes avec beaucoup d’artistes qualifiés d’un avis absolument contraire.
Une épreuve définitive nous-a-t-elle été soumise en notre qualité d’ayants-droit de l’artiste auteur du modèle ? Certainement non.
Accordez-vous ou non à ses héritiers les droits qui, sans conteste, appartenaient à Luc-Olivier Merson ? »
Le 15 février, dans une ultime tentative et afin d’éviter un long et couteux contentieux, les héritiers MERSON rédige dernière lettre Gouverneur de la Banque de France :
« Aucune modification, pour employer votre expression, ne peut être apportée au modèle sans l’assentiment de son auteur. Cela ne semble pas contestable.
Où, du reste s’arrêterait le droit de l’éditeur (en l’espèce la B.d.F.) de modifier l’œuvre accomplie ? Personne ne pourrait plus lui fixer de limites s’il était une fois admis.
Le fait d’avoir acheté et payé une œuvre d’art, et le modèle d’un billet de banque en est une, en vue de la reproduction, confère à l’acheteur la propriété matérielle de l’œuvre et le droit strict d’exploiter cette reproduction et de l’employer à des fins précises et définies qui ont dû être énoncées, implicitement ou explicitement, dans les accords.
Mais, cette propriété des droits d’exploiter la reproduction laisse intact le droit moral de l’artiste de faire respecter matériellement son œuvre par l’interprète accepté.
L’accord entre les trois collaborateurs est possible, facile le plus souvent et toujours recherché.
L’artiste sait jusqu’où il peut aller dans la voie des concessions nécessaires, et, ainsi, éditeur, graveur, imprimeur et artiste, agissant dans le même esprit, tous les droits seront sauvegardés, pour la plus grande satisfaction de tous.
Il y a là, vous le voyez, Monsieur le Gouverneur, place pour une plus logique, plus féconde et plus heureuse méthode de travail que n’en pourrait fournir l’application littérale de ce droit léonin qui laisserait tout pouvoir à une seule des parties intéressées, droit que vous invoquez cependant.
Notre conception n’a rien qui choque la raison…La fidélité est une vertu ou une qualité qui ne supporte guère de degrés. Dans le cas qui nous occupe, une reproduction est fidèle ou elle ne l’est pas. Pour qu’elle soit qualifiée de fidèle, il est nécessaire que la reproduction conserve les traits essentiels de l’œuvre : disposition, formes, caractères des figures, valeurs et couleurs, encore que, sur ces deux derniers points, des concessions puissent être demandées à l’artiste, des transpositions acceptées ou indiquées par lui, pour répondre aux nécessités d’ordre pratique indispensables comme nous l’avons préconisé plus haut. Nous ne réclamons rien d’autre.
Vous dites que « la Banque n’était nullement tenue de soumettre une épreuve du billet à l’artiste ». Personne n’a jamais eu connaissance de ce droit régalien attribué à la B.d.F. seule, et cette théorie autoritaire semble contraire au droit de la raison.
Elle suffirait à éloigner les artistes consciencieux de toute collaboration avec la B.d.F. C’est son application rigoureuse qui a causé les erreurs contre lesquelles nous protestons et rendu, par-là, possible le conflit que nous déplorons ».
En date du 20 février 1928, le Gouverneur de la Banque de France indique aux héritiers du grand peintre Luc-Olivier MERSON qu’il n’est pas question de retirer le nouveau billet de 50 francs Moreau et qu’il « n’est pas convaincu et conserve en intégralité sa manière de voir »
L’affaire Merson fait grand bruit et la presse s’en empare : Les Nouvelles Littéraires de février, sous la signature du critique Bousson, ne ménagent pas la Banque qui selon les héritiers de l’artiste « le mérite bien par sa façon outrageante dont elle a traduit, trahi, peut-on dire l’œuvre du peintre ». Toutefois la critique de l’institution se poursuit par une critique de Luc Olivier-Merson qui n’est pas du goût de Madeleine MERSON et de François MERSON.
L’appréciation sur le billet, tout le monde est d’accord : « Ces critiques, vous avez, monsieur, le droit de les faire puisque vous n’avez sous les yeux que ce billet tel que la B.d.F. l’a produit et qui est en effet d’une laideur manifeste. Mais avec un peu de prudence, vous auriez pu, parlant de l’artiste, borner vos critiques à celles que votre compétence en composition décorative vous autorisait sans doute à faire ; et comme vous n’avez jamais vu la maquette originale de cette déplorable reproduction, une certaine réserve vous était commandée envers un artiste disparu dont l’œuvre et le caractère sont au moins dignes du respect de tous. Il vous a paru plus spirituel de chercher à égayer vos lecteurs par des plaisanteries faciles, plutôt plates et assez vulgaires qui dénotent surtout un manque absolu de tact, d’exactitude et d’équité et cela sans qu’on puisse même vous accorder l’excuse d’avoir été à aucun moment le secrétaire de Luc-Olivier Merson ! »
Les amis et la famille du grand Olivier-Merson l’affirment une fois de plus, à propos de ce billet de banque qu’il a encore plus mauvaise presse depuis qu’il circule. Olivier-Merson a été trahi depuis le départ, cette interprétation de son œuvre d’art est ratée et Mlle Olivier-Merson déclare à qui veut l’entendre, que le billet de banque ne lui fut présentée, comme cela se doit faire.
La Société des Artistes Français menace d’intenter un procès à la Banque de France, sans émouvoir les dirigeants de l’institution : « On y sait, aussi bien qu’ailleurs, ce que durent de tels procès ! D’ailleurs si l’on doit faire défiler à la barre tous les porteurs de billets de cinquante francs, nous n’en avons pas fini d’un débat judiciaire inutile. »
La Banque de France déclare avoir été très surprise de cet incident et d’ajouter :
« Nous sommes actuellement en pourparlers avec Mlle Olivier Merson, et nous pensons que nos explications calmeront ceux qui protestent au fond sans grandes raisons. Nous n’avons pas à interpréter le plus fidèlement possible la pensée d’un maître, nous ne sommes pas ici dans un atelier de maître graveur. Nous faisons du billet en nous efforçant simplement de lui donner l’aspect le plus agréable et de réaliser surtout quelque chose de très pratique. »
— Craignez-vous le procès annoncé ?
Nullement, mais d’ailleurs, on n’ira vraisemblablement pas jusque-là. En tout cas, il n’est nullement question de retirer le nouveau billet ou d’en interrompre son tirage. »
Les pourparlers n’ayant pas aboutis, il ne resta plus que le choix d’engager une action en justice pour les héritiers.
L’AFFAIRE MERSON – LE RÉFÉRÉ JUDICIAIRE
L’audience des plaidoiries du 24 mars 1928
Maître Benjamin Landowski, au nom des héritiers du peintre Luc-Olivier Merson, demandait au président Wattine de nommer d’urgence un séquestre avec mission de s’emparer et de garder le modèle original dudit billet, et tous clichés, planches, bois ou galvanos pouvant ou ayant servi à sa reproduction, enfin toute reproduction du billet.
Landowski expose que du vivant du grand artiste qui, pour 30000 francs, avait exécuté les maquettes, dessins et peintures, la Banque ne lui soumit aucune épreuve, pas plus que depuis sa mort elle n’en soumit à ses héritiers.
Il rappelle ensuite les vives critiques par lesquelles la presse accueillit, son apparition. Or, la maquette était parfaite, et par son dessin et par sa couleur. La Banque a commis une faute lourde en ne soumettant pas les épreuves à l’artiste ou à ses héritiers, d’où un grave préjudice qu’il importe de ne pas laisser s’augmenter. Ce pourquoi le séquestre s’impose.
Au nom de la Banque, Maître Desforges a riposté que la demande de séquestre n’est nullement justifiée ; que la maquette originale du billet, les clichés et instruments de reproduction, tous les billets émis sont la propriété incontestable et exclusive de la Banque ; enfin que les demandeurs ne justifient d’aucun droit personnel. Et il concluait en demandant au président de déclarer qu’il n’y avait lieu à référé.
L’ordonnance du 27 mars 1928
Le président Wattine, jugeant en référé, a rendu son ordonnance dans la requête des héritiers de Luc-Olivier Merson, lesquels, se plaignant que le nouveau billet de 50 francs mis en circulation par la Banque de France constitue une trahison envers le modèle créé par leur père, et cause à sa mémoire un préjudice considérable, demandaient, par l’organe de Maître Benjamin Landowski la nomination d’un séquestre chargé de garder et le modèle et les reproductions et le matériel de fabrication. Le président vient de renvoyer les demandeurs à se pourvoir au principal.
Il déclare, en effet, n’avoir pas qualité pour apprécier si les critiques formulées par les héritiers de Luc-Olivier Merson contre la reproduction de l’œuvre de leur père sont ou non justifiées.
Et, attendu que la propriété du modèle et des clichés n’est pas litigieuse.
Que leurs représentations devant le juge du fond qui seul a qualité pour statuer est assurée par le fait même de la reproduction.
Qu’au surplus l’urgence n’est pas démontrée.
Par ces motifs
Déclare n’y avoir pas lieu à référé et renvoie au principal.
Ainsi, dans son ordonnance, le juge des référés souligne qu’il n’est pas compétent pour apprécier les critiques faites au sujet de la reproduction du dessin de Luc Olivier Merson et qu’en outre l’émission des billets est une garantie suffisante de représentation du modèle et des clichés. Le différend, en conséquence, devra être porté devant le Tribunal civil.
Les deux héritiers ayant été débouté de leurs prétentions devant le juge de l’urgence et/ou de l’évidence n’ont pas d’autre choix que de saisir la juridiction civile au fond.
L’AFFAIRE MERSON – LA JURIDICTION AU FOND
Quelques mois plus tard, le tout puissant « Syndicat des Éditeurs », qui après avoir comparé la photographie de l’original et le billet de 50 francs en circulation, communique « des déformations très nettes apparaissent. Elles sont particulièrement frappantes en ce qui concerne la tête de la femme et les valeurs du manteau de celle-ci.
Mes confrères du syndicat des éditeurs et moi-même avons appris avec surprise et regrets que l’épreuve de la gravure définitive n’a pas été soumise aux ayants-droits de l’auteur de l’original et qu’il a été procédé au tirage sans leur assentiment.
Dans le cas actuel, et s’agissant d’un artiste de haute valeur et de notoriété incontestée tel que fut L.O.M., cette communication nous a paru s’imposer ».
Alors qu’il va bientôt décéder, le président des graveurs sur bois, Emile de Ruaz, témoignera au procès en faveur de L.O.M. ainsi que d’autres graveurs « choisis parmi les bons, ceux qui ne voient que la justice de la cause, et qui ne craindront pas de se compromettre auprès de la B.d.F. ! Je serai un de ceux-là ! ».
La famille « MERSON » confiante assigne de nouveaux la Banque de France mais cette fois ci devant le juge du fond du Tribunal Civil de la Seine.
Le jugement au fond du 28 mai 1930
« Attendu que les héritiers de l’artiste soutenant que la reproduction en serait à ce point défectueuse, qu’un grave préjudice moral en aurait résulté pour la réputation de L.O.M., ont assigné la B.d.F. en résolution des conventions relatives au billet de 50 francs, en restitution des modèles, clichés et galvanos, en cessation de l’impression du billet et en allocation d’une somme de 100.000 francs à titre de dommages-intérêts ;
Attendu qu’en outre, ils demandent qu’il leur soit donné acte de ce que poursuivant, avant tout, une réparation morale, ils réduisent à 1 franc le montant des dommages¬ intérêts par eux réclamés ;
L’œuvre d’art n’est que l’accessoire ou le moyen, au rebours de ce qu’on peut considérer lorsqu’il s’agit de la reproduction ordinaire d’un tableau par la gravure. Il faut aller plus loin. L’œuvre d’art n’a pas ici d’existence propre et indépendante du billet projeté ;
Et attendu que la commande verbale faite à L.O.M. de trois maquettes au prix élevé de 30.000 francs chaque, a été faite sans aucune réserve ;
Attendu qu’il s’agit en l’espèce non d’une inexécution totale de l’obligation qui consistait à verser un prix contre la cession d’un droit de reproduction mais dans une exécution fautive de la reproduction ;
Attendu que les tribunaux sont investis en pareil cas du droit d’interpréter la commune intention des parties;
PAR CES MOTIFS
Donne acte aux consorts L.O.M. que par leurs conclusions très subsidiaires, ils ont réduit à 1 franc leur demande de dommages-intérêts.
Dit n’y avoir lieu à prononcer la résolution du contrat intervenu entre L.O.M. et la B.d.F. pour la reproduction de la maquette du billet de 50 francs émis par la Banque, l’inexécution du contrat n’ayant été que partielle.
Condamne la B.d.F. à payer aux demandeurs la somme de 1 franc à titre de dommages-intérêts, en réparation du préjudice moral causé à la réputation de L.O.M. par une reproduction défectueuse de son œuvre.
Dit que sur tous les billets de 50 francs portant une date postérieure à celle du présent jugement, la B.d.F. devra supprimer la signature L.O.M., toute contravention dument constatée à cette défense étant réprimée par une astreinte de 10 francs pendant un mois passé, lequel délai, il sera fait droit.
Dit n’y avoir lieu à ordonner la cessation de l’impression du billet de 50 francs ni la restitution de toutes peintures, clichés ou galvanos.
Condamne la B.d.F. en tous les dépens dont distraction au profit de Danet, avoué qui l’a requise aux offres de droit ».
La famille, les amis et les artistes triomphent, les graveurs sur bois notamment : « Les juges ont parfaitement compris la portée de leur verdict. L’art, désormais, sera mieux sauvegardé », les Éditeurs d’Art également : « Pensez-donc, un procès contre la Banque de France, sur un sujet d’art, c’est à dire sur un sujet aussi élastique qu’un dessin; votre succès n’en est que plus grand ! ».
D’après le peintre-dessinateur Paul Adolphe Giraldon: « C’est le droit moral des artistes reconnu rétabli par un tribunal dans un jugement fortement motivé contre un éditeur dont la puissance, qu’il paraissait à beaucoup impossible à attaquer, renforce l’efficacité de la sentence prononcée. C’est la corporation entière des artistes dont le droit moral est ainsi reconnu qui doit et qui peut se féliciter d’un tel jugement et en savoir gré à ceux qui l’ont provoqué ».
C’est depuis cette condamnation par le Tribunal que les noms des graveurs et des dessinateurs ne figurent plus sur les billets de banque émis par la Banque de France excepté pour la coupure de 20 Francs Science et Travail Type 1940.
L’AFFAIRE MERSON – LA COUR D’APPEL
La Banque de France décide d’interjeter appel du jugement afin d’essayer d’échapper à ce qui ressemble déjà à une « affaire d’État ».
L’Arrêt de la Cour d’Appel de Paris du 12 mars 1936
« En considérant que si la B.d.F. prétend que L.O.M., auteur de la maquette d’un billet de 50 francs, lui en avait cédé la propriété absolue et sans réserve, elle ne l’établit pas d’une manière suffisante ;
Que la rémunération relativement élevée reçue par le peintre peut correspondre à son talent et à sa notoriété mais n’implique pas nécessairement qu’il ait entendu abandonner tous ses droits sur la maquette ;
Que si en achetant cette maquette, la B.d.F. n’a pas pris l’engagement de soumettre à L.O.M. le billet gravé et imprimé avant de le mettre en circulation, elle n’en a pas moins gardé l’obligation de respecter l’œuvre de l’artiste ;
PAR CES MOTIFS,
Confirme le jugement déféré,
Déclare la B.d.F. mal fondée dans ses demandes, fins et conclusions, l’en déboute, La condamne à l’amende et aux dépens d’appel. »
LA FIN DU LITIGE ENTRE LES MERSON ET LA BANQUE DE FRANCE
Après cet Arrêt confirmatif, la Banque de France mit définitivement fin au litige en ne se pourvoyant pas devant la Haute Cour.
En tout état de cause, et malgré ses déboires judiciaires, l’Institution a bien rentabilisé sa collaboration avec Luc-Olivier MERSON car ses billets créés par l’artiste seront produits au total à plus de deux milliards d’exemplaires ! Un record pour un billet de la Banque de France.
LE COMMUNIQUÉ DE LA BANQUE DE FRANCE A LA PRESSE
La Banque de France a décidé de supprimer, sur le nouveau billet de 50 francs dont la mise en circulation a été effectuée en janvier 1928, l’inscription « Luc-Olivier Merson » figurant à la partie inférieure de la gravure au recto et au verso du billet. Cette suppression a été effectuée sur toutes les coupures appartenant aux alphabets 6101 et suivants ; le numéro de l’alphabet est indiqué dans les cartouches situés dans l’angle supérieur droit et dans l’angle inférieur gauche du chaque billet. Les billets ainsi modifiés circulent concurremment avec les coupures émises antérieurement.
LE RANGEMENT DES BILLETS DE BANQUE
Les billets de la Banque de France se rangent dans un album pour classer les billets de type petit format ou un album de rangement de grande taille.
LA VALEUR DES BILLETS DE BANQUE
Pour connaître la valeur des billets de banque français découvrez le catalogue de cotes : « La cote des billets de la Banque de France et du Trésor ».