LA PIÈCE DE « 3 »
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Déjà rencontrée dans certains des chapitres précédents, la pièce de « 3 » mérite d’être traitée pour elle-même dans un chapitre à part et celui-ci lui est tout spécialement dédié.
Il existe deux grandes catégories de pièces de « 3 » : celles qui participent à un système monétaire dodécimal ou sexagésimal et celles qui s’intègrent dans un système décimal.
Les premières ne sont guère surprenantes. En effet, si l’on doit accumuler 12 unités secondaires pour obtenir une unité de degré supérieur, il est logique d’avoir des pièces de « 3 » et des pièces de « 6 ». C’était le cas pour la monnaie britannique avant la décimalisation de 1971, et ça l’était par voie de conséquence coloniale dans tous les pays qui, dépendant d’une façon ou d’une autre de la Grande-Bretagne (le soleil ne se couchait jamais sur l’Empire Britannique, disait-on), avaient hérité son système monétaire.
Faisons donc le tour de ces quarts qui valent trois. Et la place d’honneur revient évidemment au Royaume-Uni. Douze pence formant un shilling, trois de ces pence en sont le quart. Je n’ai pas la chance de posséder de pièces de 3 pence datant du XVIIIème siècle. La plus ancienne qui figure dans ma collection date de 1891 :
Son petit fils Georges V apparaît sur cette pièce de 3 pence émise en 1913 :
Bien qu’indépendante depuis 1922, l’Irlande a conservé un système monétaire identique à celui de la Grande Bretagne jusqu’à ce qu’elle adopte l’euro comme monnaie. Ainsi, avant 1971, pouvait-on trouver des pièces de trois « pingin » (nom irlandais du penny) dans son porte-monnaie.
Tout comme d’autres pays européens (Espagne, Portugal, France, principalement) le Royaume-Uni a établi ses quartiers en Afrique aux temps des colonies. Voyons donc dans cette Afrique anglophone quelle présence a pu avoir la pièce de « 3 ». Découvrons d’abord la pièce de 3 pence émise par l’Afrique occidentale britannique qui, rappelons-le, regroupait la Gambie, la Sierra Leone, le Ghana et le Nigeria, quatre territoires géographiquement séparés.
Devenus indépendants, trois de ces pays (Ghana, Nigeria et Gambie) continuèrent à frapper une livre dodécimale locale pendant quelques années. Mais je ne possède qu’une pièce de trois pence du Nigeria datant de 1959, c’est-à-dire juste avant l’indépendance. Ce pays avait déjà un gouvernement propre représentatif et une constitution fédérale.
Plus au sud, différents territoires ont été colonisés par nos voisins d’outre-manche et leur présence en tant qu’occupants a duré jusqu’au dernier quart du XXème siècle, par exemple dans la région qui s’est un temps appelée « Rhodésie du Sud ». C’est, depuis 1980, l’actuel Zimbabwe. Voyons, pour commencer, la pièce de trois pence de 1934 :
En 1953, la Grande-Bretagne tenta de créer une nouvelle entité coloniale au nord de l’Afrique du Sud. Cela regroupait la Rhodésie du Nord (au nord du fleuve Zambèze), la Rhodésie du Sud (au sud du même fleuve) et le Nyasaland (plus à l’est), autant de régions dont on ignore souvent tout lorsqu’on est français et peu versé sur l’histoire africaine du siècle dernier. Cette fédération, appelée « Fédération de Rhodésie et du Nyasaland », ne tint la distance que pendant dix ans. Les trois territoires qui la constituaient redevinrent ensuite trois colonies séparées.
En juillet 1964, le Nyasaland devint indépendant et prit le nom de « Malawi ». Quelques mois plus tard, ce fut le tour de la Rhodésie du Nord qui prit le nom de « Zambie ». Ces deux pays étaient dirigés par des africains et non plus par des colons anglais. Pendant ce temps, la Rhodésie du Sud restait sous domination blanche. Elle proclama son indépendance en 1965 sous le nom de « Rhodésie ». Il s’en suivit une longue guerre de libération à la suite de laquelle ce pays quitta la tutelle britannique et devint le Zimbabwe.
Je possède une pièce de 3 pence de la Fédération de la Rhodésie et du Nyasaland et la voici :
Poursuivons notre descente vers le sud avec, justement, l’Afrique du Sud. De 1806 à 1960, ce pays fut placé sous domination britannique. Après de nombreuses vicissitudes (multiples guerres et déclarations de l’indépendance de certains territoires), ce pays devint une république en 1961 et profita de cette occasion pour sortir du Commonwealth. C’est aussi l’année où les premières critiques internationales de la politique d’apartheid qui y était menée se firent entendre.
Le système monétaire anglais était donc en vigueur avant 1961, date à laquelle le Rand fut créé.
Je possède une rareté de 3 pence datant de 1895, c’est-à-dire juste avant la seconde guerre des Boers durant laquelle, entre autres horreurs, de nombreux civils Afrikaans furent internés par les Britanniques dans des camps de concentration préfigurant ceux de la seconde guerre mondiale. Cette pièce a été émise par la République Sud-Africaine du Transvaal, qui se trouvait dans la partie nord de l’actuelle Afrique du Sud et dont la capitale fut tout d’abord Potschefstroom (de 1852 à 1860) puis Pretoria (de 1860 à 1902).
Un seul modèle de pièces de 3 pence a été émis par l’Afrique du Sud entre 1925 et 1960.
Cependant, l’effigie du roi ou de la reine changeait au gré de leur décès et de l’accession au trône de leur successeur. Voyons un exemple de ces monnaies :
Poursuivons à nouveau notre voyage numismatique vers le Sud et complétons cet inventaire britannique par une pièce de trois pence australienne. L’Australie, contrairement aux colonies africaines que nous venons de voir, est indépendante depuis 1901. De 1910 à 1960, son système monétaire était identique à celui de la Grande-Bretagne. Voyons deux exemples de pièces de trois pence de ce pays :
Un autre type de pièces de 3 pence a été émis après 1936. En voici un exemplaire :
Passons maintenant aux systèmes monétaires relativement anciens et possédant des subdivisions faisant intervenir le nombre « 3 ».
Et, à cette fin, voyons la pièce de trois tangka tibétaine datant de 1911. Au début du vingtième siècle, les Britanniques (encore eux !) tentèrent de s’installer au Tibet en y menant une campagne militaire contre l’armée locale. Suite à leur victoire, des roupies indiennes (l’Inde était sous administration britannique) circulèrent au Tibet. Cependant, la Chine, qui revendiquait toujours sa souveraineté sur ce vaste territoire, se mit à émettre au Sichuan (province située à l’Est de Tibet) des pièces chinoises à destination de ce pays. Nous ne retracerons pas ici la complexe histoire tibétaine dans la première moitié du XXème siècle et nous nous contenterons d’observer une de ces pièces :
De 1754 à 1857, la monnaie de l’Empire Austro-hongrois était le florin. Et chaque florin était divisé en 60 kreutzer (en hongrois 60 krajczár). Si bien qu’un dixième de demi-florin valait 3 kreutzer. Il s’agissait donc d’un système monétaire sexagésimal, si pratique pour les sous-divisions. Il existait donc des pièces de 3 kreutzer :
Comme nous ne le savons pas toujours très bien, l’Allemagne ne s’est unifiée qu’en 1871, après la défaite française de la « guerre de 1870 ». Auparavant, différents États allemands coexistaient dans une relative indépendance. Le plus puissant, la Prusse, s’était doté d’une nouvelle monnaie en 1857 : le « vereinsthaler » en remplacement de l’ancien « thaler ». Le mot « vereinsthaler » signifiant « thaler de l’union », met en avant la volonté allemande de s’unifier en une grande nation au nord et au centre de l’Europe. Celle-ci a pu se réaliser en partant à la guerre et en s’alliant contre l’ennemi commun, la France.
Le vereinsthaler était divisé en 30 « silbergroschen » et chaque silbergroschen était lui-même divisé en 12 « pfenninge ». Au total, 360 pfenninge formaient 1 vereinthaler. Il s’agit donc d’un système à la fois dodécimal et sexagésimal. Dans cet espace monétaire, il est bien normal de trouver des pièces de trois pfenninge :
Nous allons maintenant pouvoir explorer les pièces de « 3 » qui s’intègrent dans un système monétaire décimal.
Commençons par le Royaume d’Italie, entité située au Nord de l’Italie, conquise par Napoléon Ier et dont il s’est déclaré roi. La monnaie était la lire, version italienne du franc français. Cette lire était divisée en 100 centesimi. Des pièces de 1 soldo, de 5 et de 10 soldi existaient, chaque soldo valant 5 centesimi. Et dans tout cet attirail décimal, la pièce de 3 centesimi faisait un peu tache :
Nous allons maintenant explorer le système monétaire russe et tous ceux qui en sont dérivés. L’empire russe prit naissance en 1721 avec le règne de Pierre Ier. La monnaie était déjà le rouble qui était divisé en 100 kopecks. Au début diverses sous-unités ont porté des noms particuliers. Par exemple le quart de kopeck s’appelait une polushka, et le demi-kopeck une denga. Ce que nous appelons en français un kopeck se disait et se dit toujours une « kopeika ». Deux kopecks sont deux « kopeiki ». Quant à la pièce de trois kopecks, elle s’est un temps appelée un « altyn », pour devenir ensuite une pièce de trois « kopeiki ». Dix kopecks se sont appelés un « grivennick », tandis que vingt-cinq se disaient un « polupoltinnick » et cinquante une « poltina ». Voici donc une pièce de trois kopecks :
La révolution soviétique n’a pas changé grand chose aux subdivisions adoptées dans le système monétaire russe. On y retrouve donc la pièce de trois kopecks :
Tous les pays du « bloc de l’est » n’ont pas adopté le système russe. Cependant, certains d’entre eux ont éprouvé le besoin d’émettre des pièces de trois centièmes de leur unité monétaire principale. La Bulgarie en est un exemple.
La Tchécoslovaquie, qui a cru pouvoir se rebeller en 1968 et inventer un socialisme à visage humain, a elle aussi émis des pièces de « 3 ». Voyons, pour commencer, la pièce de 3 « haléře » en remarquant que ce pays a émis des pièces de 1 « haléř », de 3 « haléře » et de 5 « Haléřů », mais pas de 2 :
Mais la Tchécoslovaquie ne s’est pas contentée de produire des pièces de 3 centièmes, elle a aussi multiplié par 3 ses couronnes :
Dans le sillage de ses deux sœurs socialistes, la Roumanie a elle aussi émis des pièces de « 3 ». Sa monnaie est le « leu » (pluriel « lei ») et les centimes se nomment des « bani » (au singulier « ban »). Alors voyons la 3 « bani » !
Après la 3 bani, pourquoi ne pas voir la 3 lei ?
L’éclatement de l’Union Soviétique en 1991 fit réapparaître d’anciennes nations qui formèrent de nouveaux pays indépendants. Ainsi en fut-il du Kirghizistan (ou de la Kirghizie, si l’on veut). Ce pays a gardé des attaches avec la Russie, le russe, bien que parlé par seulement 9 % de la population, est avec le kirghize la langue officielle de ce pays. L’alphabet cyrillique est de rigueur pour toutes les langues employées. Ce lien encore vivace avec la présence russe explique peut-être l’existence de pièces de 3 som.
Restons dans la sphère d’influence soviétique en admirant la pièce de 3 pesos cubaine. De telles pièces ont été émises entre 1990 et 2002. Ce sont des pièces commémoratives circulantes frappées à la gloire du Che.
Avant de revernir vers l’Europe, rappelons qu’en Inde, des pièces de trois paise ont été frappées (elles sont déjà évoquées dans le chapitre sur « la forme des pièces ») :
Revenons vers l’Occident en nous arrêtant dans deux pays méditerranéens ayant connu la domination britannique : Chypre et Malte. Leur histoire monétaire n’est pas la même puisque ces deux îles n’ont pas du tout connu le même passé.
Commençons par Chypre qui, après avoir été sous domination ottomane pendant trois siècles, est devenue un protectorat britannique entre 1878 et 1960. Du point de vue monétaire, une livre chypriote qui valait une livre britannique était frappée par ce « pays ». Mais sa subdivision était différente, bien que tout aussi étonnante : une livre était divisée en 20 shillings et chaque shilling en 9 piastres. De cette période, je ne possède que deux pièces de 1 piastre. En 1955, année où la résistance des chypriotes grecs contre l’occupant britannique s’amplifie, la livre chypriote est décimalisée. Elle est désormais constituée de mille « mils », sous-division qui rappelle les monnaies de certains pays du Moyen-Orient ou d’Afrique du Nord. Et, avec cette nouveauté, apparaît la pièce de 3 mils, qui ne sera frappée qu’en 1955 :
L’histoire relativement récente de Malte fait plus référence à la tentative de Napoléon Ier de s’y installer (1798 – 1800) qu’à une domination orientale. Ensuite, ce sont les Britanniques qui prirent possession de l’archipel. Et cela dura jusqu’en 1964. Indépendant depuis cette date, ce pays n’émit sa propre monnaie qu’à partir de 1972. Tout comme la livre chypriote, la lire maltaise était divisée en 1000 mils et des pièces de 3 mils furent émises entre 1972 et 2006 :
J’ai réservé la dernière place des pièces de « 3 » à une pièce de 3 cents émise entre 1851 et 1889 par les États-Unis. De toutes ces pièces intégrées dans un système monétaire décimal, c’est celle qui m’étonne le plus, tant nous sommes habitués aux monnaies d’outre-atlantique.
J’ai encore deux cas intéressants à présenter. Le premier est une pièce commémorative grecque de 30 drachmes :
Une petite dernière monnaie dans la même lignée que ses sœurs : une pièce de 300 réis brésilienne datant de 1940. Comme il sera dit dans le chapitre consacré aux « monnaies faibles », le Brésil a connu diverses péripéties monétaires depuis sa création. Le réal dont nous parlons a été la monnaie brésilienne de 1799 à 1942 (belle longévité quand même !). Il remplaçait l’ancien réal (1654 – 1799) dont le cours s’était effondré. En 1940, la santé de la monnaie brésilienne n’était pas florissante et cela justifie l’existence de pièces circulantes dont la valeur faciale était de 300, de 400 ou de 500 réis, voire de 1000 ou 2000 réis. Imaginez des pièces de 500 euros ! Voilà donc cette petite dernière :
Toujours fascinante et singulière, la pièce de « 3 » a donc connu un franc succès dans toutes sortes de pays, à différentes époques et pour toutes sortes de raisons. J’espère que l’inventaire qui vient d’en être fait a constitué un agréable voyage numismatique.
François Saint-Jalm