LES GRAVEURS (FRANCE)
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Chacun a pu remarquer, en parcourant les chapitres précédents, que la pièce de monnaie constitue un support particulier où la créativité humaine peut s’exprimer. Et, de la même façon que le cadre contraint du sonnet en poésie force l’écrivain à ordonner les mots, les syllabes et les sons en forme d’œuvre d’art, le graveur à qui l’on confie la création de l’avers, du revers et de la tranche d’une nouvelle monnaie doit redoubler d’imagination et d’inventivité pour arriver à un résultat contenant tout le sens qui doit y être mis et ayant également cette touche artistique qui rend l’objet produit digne d’être admiré. Ces graveurs sont donc de véritables artistes au même titre que les sculpteurs. Certains d’entre eux furent même les deux.
En France, l’Hôtel des monnaies était dirigé par un « Graveur Général des Monnaies » devenu aujourd’hui le « Chef du Service de la Gravure ». Sous ses ordres, divers graveurs réalisaient in fine les coins servant à la frappe des flans qui produisaient ainsi les pièces de monnaie destinées aux échanges des biens et des services. Ces coins, éléments métalliques qui, appliqués avec force et vigueur sur le disque de métal destiné à devenir une « monnaie », étaient initialement gravés directement sur une matrice métallique vierge. Ils sont actuellement obtenus par réduction d’un modèle de cire dure produite après différentes étapes de sculpture sur des matériaux plus tendres. L’activité du graveur a donc un double aspect de pure création et de technique reproductive.
Comme il a été dit dans le chapitre précédent, chaque pièce de monnaie est une surface limitée où l’on ne peut s’épancher sans déborder. C’est pourquoi la signature de chaque graveur se réduit souvent à une marque distinctive qui porte le nom de « différent ». Il arrive aussi que le nom du graveur soit indiqué en entier ou sous forme d’initiales comme nous allons le voir sur plusieurs exemples qui seront pris dans l’ensemble des francs et des centimes français figurant dans ma collection. J’ai actuellement un peu plus de 1 000 pièces françaises… il y a de quoi faire.
Nous allons remonter le temps en commençant donc par la série de pièces qui a été émise entre 1960 et 2001, ce que, dans les premières années, on a appelé les « nouveaux francs« . Si l’on se réfère au chapitre consacré aux subdivisions et multiples, on constate que 8 sortes de pièces ont été produites : les centimes en acier du tout début (1 et 5 centimes), les pièces de 5 à 50 centimes présentant un profil de Marianne, les pièces de ½ franc à 5 francs avec la semeuse sur l’avers, le cas de la pièce de 2 francs étant un peu particulier, trois sortes de pièces de 10 francs et la pièce de 20 francs.
L’arrivée du nouveau franc, après la réforme d’Antoine Pinay et Jacques Rueff de décembre 1958, a donc nécessairement fait réapparaître les centimes. La série initiale mise en circulation porte le date de 1962 pour les pièces de 1 centime et de 1961 pour celles de 5 centimes.
Le graveur des deux faces est Marcel Guilleminet : il n’a pas signé de son différent.
On peut remarquer, sur ces deux pièces, trois petits signes que nous allons ici détailler.
Le premier est déjà connu et se situe sur le revers à gauche du « 1 » ou du « 5 ». C’est la marque d’atelier de la Monnaie de Paris :
Le second signe se trouve de l’autre côté du « 1 » ou du « 5 » :
Ce signe représente une chouette et est le différent choisi par Raymond Joly, graveur général à la Monnaie de Paris d’octobre 1958 à avril 1974.
Raymond Joly (1911 – 2006) expliqua ainsi le choix de ce différent : « Pour ma part, j’ai choisi la chouette ; le sujet de mon prix de Rome étant Athéna combattant le géant Encelade, j’ai pensé que l’utilisation de son symbole s’imposait. De plus cet emblème est aussi celui de la sagesse et de la faculté de voir clair dans l’obscurité. Je décide donc de graver ce symbole en creux dans l’acier, ce qui me permet de « clouer » dans l’aile de la chouette de tout petits poinçons à main aux motifs décoratifs variés. Malgré l’énorme réduction, (de 33 mm à 2 mm), cela donne un modèle difficile à reproduire. »
Un troisième signe se trouve, lui, sur l’avers, en bas et à droite de l’épi :
Les pièces de 5 centimes n’ont été frappées que jusqu’en 1964, date à laquelle elles ont été remplacées par des pièces dans un alliage constitué de cuivre, d’aluminium et de nickel. Ce sont les fameuses « pièces jaunes » que nous verrons ci-dessous.
Cependant, les pièces de 1 centime ont continué à être frappées jusqu’en 2001. De 1962 à 1974, elles portaient le différent de Raymond Joly. Mais à partir de 1975 c’est le différent de son successeur, Émile Rousseau (1927 – 2010), qui apparaissait :
Tout comme Raymond Joly en 1942, il obtint en 1957 le Grand prix de Rome de gravure de médailles. Il fut Graveur Général de 1974 à 1994.
De 1994 à 2001, le Graveur Général de la Monnaie de Paris fut Pierre Rodier. Malheureusement, les pièces de 1 centime datant de cette période sont rares et je n’en possède pas encore, et pour cette raison nous verrons son différent sur d’autres pièces.
En 2001 la dernière série de francs et centimes de franc fut frappée juste avant le passage à l’euro. Un pièce de 1 centime fut donc frappée et portait le différent du remplaçant de Pierre Rodier : Gérard Buquoy. Il fut Chef du service de la gravure (nouveau titre du Graveur général de la Monnaie) du 1er mars au 31 décembre 2001. Voici son différent sur la pièce de 1 centime datant de 2001.
La série des « pièces jaunes » allant de 5 centimes (à partir de 1965) à 50 centimes (jusqu’en 1964) et à 20 centimes (jusqu’en 2001), sera l’occasion de voir, dans un premier temps le différent du Graveur Général de la période allant de 1994 à février 2001, Pierre Rodier :
Lorsque cette pièce a été frappée, le Graveur Général des Monnaies était donc Pierre Rodier (né en 1939). Celui-ci avait choisi une abeille comme différent. On la voit à droite du « 5 » sur le revers :
La même année, en 1997, la même pièce a été frappée avec une abeille dont la position n’est pas tout-à-fait la même :
L’abeille est ici plus près du « 5 » que du second « R » de « fraternité ».
Restons sur cette même pièce de 5 centimes de 1997 et regardons l’inscription qui figure sur l’avers devant le cou de Marianne :
C’est le nom de Henri Albert Lagriffoul (1907 – 1981). Grand prix de Rome de sculpture en 1932, H. Lagriffoul est l’auteur d’une importante œuvre dont on trouve des éléments dans divers bâtiments publiques et monuments, comme par exemple un bas-relief dédié à la déportation que l’on peut voir au Mémorial de la France combattante du Mont Valérien.
Si Henri Lagriffoul est l’auteur (célèbre chez les numismates [d’où la phrase parfois entendue : « j’ai là un sac plein de Lagriffouls »]), de l’avers des « pièces jaunes » françaises émises entre 1960 et 2001, il est aussi l’auteur de la pièce de 100 francs monégasque datant de 1956 :
On remarque, sur le revers, deux petites marques qu’il est impossible d’ignorer dans un tel chapitre :
La monnaie monégasque étant le franc français, il n’est pas étonnant que les pièces de cette principauté aient été frappées en France.
Mais, revenons à la pièce de 5 centimes de 1997 que nous avons choisie comme représentante de toutes les « pièce jaunes ». En effet, Henri Lagriffoul n’est l’auteur que de l’avers. Le revers, en revanche, a été gravé par Adrien Dieudonné :
Passons aux pièces de valeur faciale un peu plus élevées : ½ franc, 1 franc et 5 francs. Ces pièces ont en commun de montrer sur l’avers une « semeuse » en action. Voyons, pour commencer, la pièce de 1 franc frappée en 1988 :
Le fait que ces pièces de nickel utilisées entre 1960 et 2001 soient la reprise de pièces frappées au début du vingtième siècle nous oblige à regarder ces dernières dès maintenant. Ne sommes-nous pas en plein vagabondage numismatique ? Voyons, pour commencer la pièce de 50 centimes :
C’est en 1966 que les pièces de ½ franc de type « semeuse » ont remplacé les pièces de 50 centimes de type « Lagriffoul ». Elles étaient cependant composées de nickel. Voyons en un exemplaire :
Voyons maintenant la pièce de 1 franc de la première série de « semeuses », c’est-à-dire datant de 1898 à 1920. Par exemple celle qui correspond à la dernière année de l’une des guerres les plus meurtrières qui aient été commises : 1918.
Revenons à la seconde moitié du XXème siècle et voyons rapidement la pièce de deux francs qui a pris sa place entre celle de 1 franc et celle de 5 francs :
Passons maintenant aux pièces de 10 francs. L’inflation aidant, il fut nécessaire d’émettre des pièces de 10 francs dès 1974. Les deux faces furent confiées au peintre Georges Mathieu et furent gravées par les artisans de la Monnaie de Paris toujours aussi anonymes.
Une nouvelle pièce de 10 francs a été émise en 1986. On ne s’en souvient guère car elle n’est restée en circulation que pendant une année. En effet, sa couleur et sa taille étaient proches de celles de la pièce de ½ franc et cela prêtait à confusion, dit-on, pour les personnes âgées.
Cette pièce fut remplacée en 1988 par la bien connue pièce de 10 francs bimétallique :
Pour être complet sur les pièces non-commémoratives, il nous reste à voir la pièce de 20 francs qui a existé entre 1993 et 2001 :
La période qui précède celle des « nouveaux francs » est celle qui va de 1931 à 1958. Elle englobe la seconde guerre mondiale qui constitue une sorte de parenthèse que nous allons voir de plus près. En 1930, de nouvelles monnaies furent émises, du moins en ce qui concerne les valeurs dépassant 50 centimes. C’est la période où Lucien Bazor fut Maître graveur à la Monnaie de Paris Son différent était une aile d’oiseau qui a déjà été vue avec la pièce de 100 francs monégasque de 1956.
La gravure des pièces de 50 centimes et de 1 franc fut confiée à Pierre-Alexandre Morlon. Né en 1878 et mort en 1951, il fut sculpteur et graveur. On peut voir certaines de ses sculptures sur la façade de l’immeuble situé au 199-200 rue de Charenton à Paris. Prenons l’exemple de la pièce de 1 franc émise entre 1931 et 1941 en bronze-aluminium et entre 1941 et 1959 en aluminium (avec toutefois une interruption entre 1942 et 1944) :
Lucien Bazor a, lui, apporté sa contribution aux monnaies françaises en tant que graveur à deux moments différents. Tout d’abord, il est l’auteur de la pièce de 5 francs émise en 1933. Celle-ci a été conçue dans la précipitation car le billet de 5 francs qui circulait alors devait être démonétisé à cette date et la crise monétaire allant de 1929 à 1931 a perturbé la mise en route de la pièce qui devait le remplacer. Lucien Bazor s’attela à la tâche consistant à créer une nouvelle pièce dans la précipitation et voici le résultat :
Lucien Bazor est également le graveur qui se chargea de la gravure des monnaies émises par le régime de Vichy dirigé par P. Pétain (de triste mémoire). Revoyons, par exemple celle de 1 franc datant de 1944. La version qui a été frappée à Castelsarrasin a déjà été vue dans le chapitre consacré aux marques d’atelier. Penchons nous donc sur sa cousine frappée, elle, à Beaumont-le-Roger :
Venons-en maintenant à la pièce de 5 francs qui a remplacé celle que Lucien Bazor avait créée dans la hâte en 1933. Elle est due à André-Marie Lavrillier. Elle fut frappée à partir de flans constitués de nickel entre 1933 et 1939, puis composés de bronze-aluminium entre 1938 et 1947, avec une interruption entre 1941 et 1945 et, enfin, ce furent des pièces en aluminium qui furent frappées entre 1945 et 1952. Grand prix de Rome en 1914, il était le frère aîné de Gaston Lavrillier, lui-même graveur et prix de Rome en 1919… de sacrés artistes !
L’après-guerre (la seconde) a été marqué par une lente mais constante inflation qui s’est accompagnée d’une lente mais constante dévaluation du franc. Il a déjà été dit qu’on en est arrivé au stade où la pièce de 1 franc était la plus petite valeur faciale circulante : avec 1 franc tu n’avais pas grand chose, un petit bonbon carré de 1,5 centimètre sur 1,5 centimètre, épais de 3 millimètres et au goût très artificiel comme on n’en fait vraisemblablement plus. Le prix du roudoudou était supérieur et, donc inatteignable pour qui trouvait sa pièce de 1 franc dans le caniveau…
L’inflation, donc, a conduit les autorités monétaires à frapper des pièces de 10 francs, émises entre 1929 et 1949 et intéressantes. Initialement, la pièce de 10 francs était une pièce de type « bas-de-laine ». Frappée dans des flans en argent (68 % d’argent pour 32 % de cuivre) jusqu’en 1939, elle fut ensuite émise en cupronickel de 1945 à 1949 avant d’être remplacée par une petite sœur plus modeste. C’est la 10 francs « Turin » du nom de Pierre Turin, né en 1891 et décédé en 1968. Dans la même veine, une pièce de 20 francs fut émise entre 1929 et 1939, toujours pour prendre place sous les matelas des épargnants. Voyons une des représentantes de la valeur faciale de 10 francs :
Il existe, pour les années 1945 et 1946 deux versions de l’avers : celle que nous voyons ci-dessus est la version « rameaux courts » et celle qui est présentée ci-dessous est la version « rameaux longs » :
Les pièces de 1 et 2 francs de type « Morlon » (d’abord en bronze-aluminium, puis en aluminium) ainsi que la pièce de 5 francs (Lavrillier) et ces 10 francs « Turin » font le lien entre l’avant et l’après guerre. Mais à partir de 1950, l’inflation et la dépréciation de la monnaie qui en découlait ont perduré et cela a contraint le ministère des finances à commander à l’Hôtel des monnaies de nouvelles pièces de 10, 20 et 50 francs circulantes et peu onéreuses à produire.
Voyons, pour commencer la pièce de 50 francs datant de 1952 :
Notons que sur une des variantes de la pièce de 20 francs de 1950, la signature de Georges Guiraud apparaît en entier :
Remonter le temps revient maintenant pour nous à nous retrouver dans les « années 20 ». La première guerre mondiale fit des ravages économiques dont la principale conséquence monétaire fut que les pièces émises alors en argent ou en alliage d’argent avaient une valeur faciale inférieure à leur valeur en métal. Par exemple, une pièce de 2 francs datant de 1918 valait alors plus de 2 francs d’argent. Il était donc tentant de les garder par-devers soi et d’éviter de les donner à son boulanger pour lui acheter une miche de pain. Le résultat cumulé de ces mises en bas-de-laine fut qu’il n’y avait plus assez de pièces circulantes pour faire fonctionner le petit commerce. Les différents gouvernements des pays en guerre ou récemment sortis de cette calamité furent donc obligés d’accepter l’émission locale de ce qu’on appelle des monnaies de nécessité. Un chapitre entier leur sera consacré. Cependant, en France, les chambres de commerce furent aussi autorisées à émettre des monnaies à l’échelle nationale pour les valeurs de 50 centimes, 1 franc et 2 francs. En voici un exemplaire :
Si l’émission des pièces circulantes en argent a dû être arrêtée pour cause d’inflation, celle des pièces de centimes a pu continuer. C’étaient, pour la période allant de 1914 à 1945, les fameuses pièces percées que l’on trouve encore en grand nombre dans les vracs de brocantes. L’une d’entre elles a déjà été présentée dans le chapitre consacré aux pièces percées. De 1914 à 1917, elles étaient en nickel et ne furent frappées qu’en petit nombre. Puis, leur tirage devint important jusqu’en 1940, date à laquelle elles furent remplacées par les pièces de l’État français. Voyons une des toutes premières, frappée en 1914 :
On ne doit que peu de monnaies gravées par Henri-Auguste Patey. Il en créa deux. Ce sont deux pièces de 25 centimes émises en 1903, pour l’une, et en 1904 et 1905 pour l’autre. Voyons-les donc :
La seconde pièce de 25 centimes qu’il créa est la suivante :
De 1897 à 1921, des pièces de 1, 2, 5 et 10 centimes furent frappées et sont toutes dues au même graveur : Daniel Dupuis (1849 – 1899). On peut les classer en deux groupes : les 1 et 2 centimes d’un côté et les 5 et 10 centimes de l’autre. Voyons par exemple la pièce de 5 centimes de 1912 :
Plus petites, les pièces de 1 et 2 centimes sont un peu différentes. Prenons l’exemple de la pièce de 2 centimes datant de 1914 :
Remontant toujours le temps, nous nous retrouvons en plein XIXème siècle. La période la plus proche de nous est la première partie de la Troisième République qui, d’un point de vue numismatique va de 1870 à 1898. Pendant toute cette durée, la France a émis les pièces qui sont aujourd’hui qualifiées de « Cérès ». Voyons pour commencer une pièce de 10 centimes datant de 1885 :
Prenons maintenant la même pièce datant de 1872 et observons ce qui a changé :
Passons donc du fils au père qui se prénommait Jean-Jacques. Et prenons pour exemple la pièce de 10 centimes datant de 1854 :
Si l’on se réfère à cette information vérifiée, l’insecte que l’on trouve à gauche du « A » sur la pièce précédente devrait être Alfred Renouard de Bussière (1804 – 1887), directeur de fabrication de monnaie à Paris en 1872.
Voyons, pour terminer cet inventaire largement incomplet, une pièce de 10 centimes émise en 1808 et dont je possède deux versions, l’une frappée à Paris et l’autre à Lille :
Et voici sa sœur, frappée à Lille la même année :
L’évocation de tous ces graveurs, des plus récents (excepté ceux qui sont apparus au XXIème siècle avec les pièces d’euro) à ceux qui œuvraient aux environs de l’an 1800, nous a permis de les sortir de l’anonymat dont le temps qui passe les a recouverts tout en explorant un peu plus les monnaies émises par la France. Rien de tout cela n’a été exhaustif ni systématique : il y a eu des oubliés, tant chez les graveurs que chez les monnaies qu’ils on créées. Ces artistes, souvent lauréats du Prix de Rome des graveurs sur médaille ou sur pierre fine, et qui, par ailleurs étaient la plupart du temps sculpteurs ou graveurs de timbres-poste, méritent en effet notre reconnaissance numismatique !
François Saint-Jalm